Albert Dugas : Un regard critique sur une Église en perte de vitesse.
L’Étoile : Quel constat faites-vous de l’état actuel de l’Église catholique?
Albert Dugas : C’est évident qu’avec la venue du pape François en 2014, l’Église prend une autre allure. Je pense qu’avant lui l’Église catholique prenait une tangente où les gens n’écoutaient plus et n’étaient plus intéressés. C’était l’indifférence, et je crois que malgré tout cela l’est encore. L’Église catholique en fut une dogmatique qui parlait un langage théologique. Ce fut une Église qui souvent condamnait. Ça ne devait pas être son rôle. On peut s’en rendre compte maintenant que le pape François est là, et c’est un éveil. Il a vraiment une approche qui relève de Jésus-Christ. L’Église catholique a détenu un pouvoir pendant longtemps, ce qu’elle n’a maintenant presque plus, surtout dans les pays européens et nord-américains. Avec le pape François, il y a une certaine autorité.
L’Étoile : Si on parle d’autorité, cela veut dire que le pouvoir de l’Église est toujours en quelque sorte présent…
Albert Dugas : Il faut faire une différence entre pouvoir et autorité. Le pouvoir dicte tandis que l’autorité ne le fait pas. Ça dit simplement et les gens écoutent. Ensuite ils acceptent ou rejette ce qu’ils veulent. On dit que le Jésus parlait en homme d’autorité. Mais il n’avait aucun pouvoir.
L’Étoile : Quel rôle l’Église devrait-elle avoir dans la société acadienne actuelle?
Albert Dugas : L’Église peut avoir un rôle comme n’importe où ailleurs. S’il y a des gens qui souffrent d’injustice ou qui sont désespérés, l’Église a un rôle. L’Église que je connais ne s’est pas donné les instruments voulus pour pouvoir aller auprès de ces gens-là. Présentement, je ne le vois pas. On s’est tellement attaché à vouloir sauver la structure existante de l’Église que l’on a oublié de regarder ce qui se passait.
L’Étoile : Dans ce cas quelle est, selon vous, la solution?
Albert Dugas : Il va falloir qu’il y ait une transformation qui se fasse. On a presque plus de prêtres. On a pas ou peu de guides spirituels qui devrait être, dans ce cas, des laïques qui ont une préparation, un cheminement intérieur et qui peuvent aider les gens à faire des discernements dans ce qu’ils voient et dans ce qu’ils vivent. Si l’Église ne travaille pas plus en collaboration avec les laïques, je ne crois pas qu’elle a beaucoup d’avenir et elle est condamnée à mourir petit à petit.
L’Étoile : Les Églises catholiques sont de plus en plus vides. Qu’est-ce qui explique ce désintéressement?
Albert Dugas : Ce n’est pas d’abord en présentant les sacrements aux gens qui va les amener à l’Église. Il y a une autre étape plus importante à faire avant, celle de les accueillir et de les instruire sur l’Église et sur la foi. Nous, les Acadiens, on se bat pour notre langue et pour conserver notre culture. On le fait parce que l’on y croit et on croit que c’est important. Si l’Église nous apparaît comme une valeur importante, on va aussi vouloir la défendre. Pour le moment, ma perception est que pour le peuple acadien, présentement, l’Église n’est pas vraiment une valeur. Il faut qu’elle se présente autrement si elle veut être intégrée à la société.
Est-ce possible de vivre sa foi à l’extérieur des cadres de l’Église?
Albert Dugas : Un certain nombre de gens vont encore à l’église. Je parle souvent de l’Église et les gens me confient qu’ils se demandent pourquoi ils y vont. D’un autre côté, ils se sentent mal s’ils n’y vont pas. Ce qui se déroule actuellement dans nos églises, c’est qu’on ne parle plus aux gens qui la fréquentent. Ils ne savent pas ce qui se passe vraiment et ils ne comprennent pas. L’Église n’apporte pas ce que ça devrait apporter. Dans l’état actuel, puisqu’il y a une grande indifférence envers l’Église, il faut aller au milieu des gens et leur permettre de parler de leur foi en dehors des structures de l’Église. Il faut rejoindre les gens là où ils sont. Les valeurs que Jésus-Christ a enseignées se pratiquent encore aujourd’hui, mais le plus souvent en dehors de l’Église. Il suffit de remarquer les gestes de charité et de solidarité lorsqu’il se produit une catastrophe ou les mouvements de sympathie quand les gens se font tuer dans certaines circonstances. Ce sont des valeurs chrétiennes. Malheureusement, les gens ne les identifient pas comme étant des valeurs chrétiennes, car ils ne les vivent pas à l’intérieure de l’Église. D’ailleurs, Ils n’ont pas à les vivre à l’intérieur de l’Église. Ils n’ont qu’à les vivre pour faire une église vivante.
L’Étoile : Quelle est votre opinion concernant l’épineuse question du célibat des prêtres au sein de l’Église?
Albert Dugas : C’est une situation difficile à comprendre. On sait qu’à l’intérieur de l’Église catholique présentement, il existe des prêtres mariés. Les prêtres de toutes les Églises orientales qui sont reliées à Rome sont mariés par tradition. En fait ils n’ont jamais eu l’interdiction du Vatican de le faire. Il n’y a pas longtemps, le pape Benoît XVI a intégré à l’Église catholique un groupe de prêtres et même des évêques anglicans mariés. Ceux-ci refusaient l’idée de l’ordination des femmes et se sont dissociés de l’Église anglicane. Le pape a même fait adopter une loi spéciale pour le permettre.
L’Étoile : Y’a-t-il donc une lueur d’espoir pour ceux qui désireraient voir abolir l’obligation des prêtres catholiques au célibat?
Albert Dugas : Le pape François démontre une plus grande ouverture que ses prédécesseurs, dont Jean-Paul II qui lui avait fermé complètement le dialogue. Il ne voulait pas qu’on en parle. Il avait même demandé aux Églises orientales reliées à Rome de ne pas ordonner de prêtres mariés dans les pays occidentaux, dont le Canada. Il avait émis une interdiction qui d’ailleurs n’a pas toujours été respectée. J’ai connu deux prêtres de l’Église orientale (un de l’Ontario et un autre de l’Ouest) qui étaient mariés. Ils ont été ordonnés, il n’y a pas si longtemps. Le pape François soutient que cela va prendre du temps, mais qu’il y a une solution et qu’il va la trouver. IL n’a donc pas fermé la porte. On pense qu’il y a plus de 100 000 prêtres, soit un quart des prêtres du monde qui ont quitté le ministère de l’Église catholique pour se marier. Plusieurs ont rejoint l’Église anglicane ou d’autres Églises avec leur famille. Ce n’est que depuis le douzième siècle qu’il y a une interdiction du mariage dans l’Église Catholique latine. Historiquement, c’est surtout une question de transmission des concessions. C’est plus une question de finance qu’une question de théologie.